LE COUTEAU ÉMOUSSÉ DE LA BCE, par François Leclerc

Billet invité.

Mario Draghi continue de gagner du temps en annonçant – en se prévalant de l’unanimité – que la banque centrale européenne « intensifie » ses préparatifs et étudie « plusieurs options d’assouplissement quantitatif ». A la question « quand la BCE va-t-elle se résoudre à lancer un programme d’achats de titres ? », toujours sans réponse, s’ajoute désormais une autre : « quels achats va-t-elle opérer pour ne pas décevoir ? ». Aux difficultés de départ occasionnées par le refus allemand de toute opération de ce genre, maintes fois réaffirmé, s’ajoutent désormais les doutes qui se sont insinués sur la portée d’une éventuelle opération, alors que le plan Juncker de relance par l’investissement s’est dégonflé a peine a-t-il été annoncé, et que la tentative française de l’étoffer n’a rien donné de tangible.

Les questions sont plus nombreuses que les réponses à propos du calibrage d’un futur dispositif, sujet d’intenses négociations : 1° en termes d’annonce par avance du volume des achats d’obligations d’entreprise et souveraines et de leur calendrier, 2° en termes de maturité des titres souverains concernés, 3° ainsi que de leur nationalité d’origine ensuite. Mais est-il désormais possible de faire machine arrière, au risque de s’exposer à une brutale réaction des marchés ? Le fort resserrement des spreads souverains qui est enregistré a témoigné de leur confiance, les titres espagnols passant sous la barre des 2%, les italiens atteignant 2,3% et les portugais sous celle des 3%. Pas besoin d’être grand clerc pour pronostiquer un mouvement inverse en cas de déception, qui pourrait déstabiliser à nouveau le marché obligataire. Le contrecoup boursier enregistré aujourd’hui ne serait qu’un avant-goût.

Quels effets peuvent être attendus d’un programme de création monétaire ? De baisser encore, tout du moins dans un premier temps, les taux obligataires et de déprécier l’euro, en premier lieu. D’orienter les investisseurs vers des placements à risque plus rémunérateurs par voie de nécessité. De faciliter le passage des échéances électorales espagnole, grecque et portugaise qui ont toutes lieu en 2015. Et surtout de contrer les effets de la hausse des taux américains, qui auraient davantage fermé le jeu pour les gouvernements.

Mais il y a un hic : si les achats de titres se font au prorata de la participation des pays au capital de la BCE (qui repose sur le PIB et la population de chaque pays), cela ne favorisera pas les pays dont les émissions de titres ont le plus besoin d’être soutenus et risquera d’accroître à nouveau la dislocation des taux entre les pays de la zone euro. Surtout, rien ne permet de prédire un quelconque effet sur l’inflation, alors que la BCE vient encore d’abaisser ses prévisions et que Mario Draghi annonce que la baisse du prix du pétrole pourrait encore les dégrader. Les prévisions de croissance connaissent la même révision, indiquant comme à l’accoutumée une amélioration en troisième année, vouée à être comme d’habitude repoussée…

Les marchés trouveront matière à satisfaction si la BCE décide de passer à l’acte sans s’appuyer sur un consensus en son sein, mais les gouvernements ne bénéficieront que d’un répit, et non pas d’une relance. Aux masses de liquidités déjà existantes s’en ajouteront de nouvelles, sans plus de garantie qu’elles ne descendent dans l’économie. Le rêve se sera évanoui.